B 9. Fabrication et fonctions: les “cultures en contact” et la céramique commune

La céramique, matériel abondant, constamment renouvelé par les fouilles, constitue une des catégories de sources les plus fréquemment étudiées pour l’antiquité. C’est sur elle que se fonde une large partie de nos chronologies archéologiques. C’est aussi dans la distribution et dans l’adoption de certaines formes céramiques et de certains décors que l’on essaye d’identifier des éléments d’ordre culturel, socio-économique ou encore technologique, pour ne citer que les principaux domaines auxquels on rattache ce matériel.

Outre sa fonction traditionnelle de marqueur chronologique, la céramique est depuis longtemps utilisée comme un marqueur culturel. C’est une pratique courante que de fonder l’identification d’une culture archéologique sur la céramique, et on définit alors implicitement la culture comme un ensemble de traits matériels récurrents, suivant ainsi Kossinna. D’autre part, le poids de l’histoire de l’art puis l’explosion des études d’iconographie ont amené à considérer le vase – le plus souvent décoré – comme un objet culturel en un tout autre sens, un marqueur investi de valeurs et de rôles à l’intérieur d’un système culturel donné. L’approche fonctionnelle, qui parle de systèmes techniques avant de parler de systèmes culturels, est ancienne mais connaît des difficultés de divers ordres. C’est à elle que nous voudrions nous attacher: en quoi notre connaissance des fonctions et usages faits de la céramique, notre connaissance des chaînes de fabrication des vases, peuvent-elles affecter les conceptions relatives aux “contacts entre cultures”? Le matériel immense et encore peu exploité de la céramique dite commune – ce qui recoupe peu ou prou la céramique non décorée, ou encore celle de cuisine et de stockage – offre une entrée privilégiée dans deux domaines différents, celui de l’usage des céramiques dans l’économie domestique et celui de la fabrication des récipients. Tous deux ont en commun de pouvoir être analysés avec des instruments issus de l’anthropologie des techniques, comme les concepts de système technique ou de chaîne opératoire (A. Leroi-Gourhan, P. Lemonnier).

Nos lectures reposent cependant le plus souvent sur des dossiers qui sont partiels et partiaux. L’approche des ateliers de potiers et l’étude de leurs activités sont loin d’être parfaitement maîtrisées. Les structures de production qui ont été mises au jour demeurent exceptionnelles et les synthèses rares. Les informations fournies par les sources littéraires sur l’organisation sociale des ateliers ou sur la fabrication des céramiques sont elles mêmes assez sporadiques. Si l’étude du mobilier permet très clairement de souligner la présence de différentes techniques et l’existence simultanée de plusieurs potiers, l’absence de découvertes concernant des structures appartenant à des ateliers de potiers pose le problème du système de production de ces objets. Malgré cela, les chercheurs se sont souvent attachés à l’étude des conditions de production de la céramique. De ce point de vue un regard même rapide à la littérature scientifique ou aux manuels suffit à souligner que ce contexte est généralement le moins connu de l’ensemble du parcours d’un vase et pourtant le plus questionné. A partir de l’a priori d’après lequel le contexte de consommation serait relativement connu, on restitue celui de la production à partir de nos déductions tirées du premier. Cela suppose par ailleurs que la relation entre les deux demeure inaltérable. En amont de cette démarche on trouve l’idée que le producteur fabrique en fonction des besoins du consommateur.

Nous souhaitons reprendre les termes de cette relation entre modes de la production et modes de la consommation des céramiques. Pour ce faire il faudra questionner le rapport entre une production et son (ou ses) contexte(s) d’utilisation.

L’objectif de cette session consiste à aborder conjointement ces deux aspects et à considérer la céramique comme un ensemble. L’unité d’étude n’est pas le vase ou la série morphologique et/ou stylistique, mais les systèmes de fonction ou les types de production. Alors que la répartition de la céramique fine décorée est souvent susceptible d’interprétations diverses, la céramique commune semble constituer un marqueur d’acculturation extrêmement fiable qui permet de suivre avec précision les processus d’intégration, d’adaptation ou de refus. Cette approche peut nous renseigner non seulement sur certains aspects de l’organisation économique du monde ancien mais aussi sur les formes possibles de relation entre les autres peuples méditerranéens. En quoi cette ligne de recherche éclaire-t-elle ou modifie-t-elle les études sur l’acculturation et les échanges interculturels?

Nous souhaitons aborder essentiellement le groupe des céramiques dites communes, de cuisson et de stockage. La céramique culinaire, tout comme les autres céramiques communes, a longtemps été délaissée au profit des céramiques fines, mieux datables et de large diffusion. Repérer dans l’abondance et la variété des productions la vaisselle utilisée pour préparer et cuire les aliments n’est pas aisé, d’autant qu’une solide tradition privilégie l’étude des formes aux dépens de l’usage, comme en témoigne la terminologie employée. De plus, cette question en entraîne inévitablement d’autres, tout aussi ardues : la batterie de cuisine est déterminée par le type de cuisine et donc par les modes de cuisson, sujets qui sont encore dans une large mesure terra incognita. Ce corpus correspond pourtant de manière directe à nos propos dans la mesure où il peut aisément être analysé comme indice des deux chaînes opératoires: 1. la fabrication des vases eux-mêmes; 2. la préparation et conservation des aliments. En tant que vaisselle de table, certaines catégories de fine et notamment les sigillées ont une place tout désignée ici.

Bien entendu, la proximité des problématiques invite à ne pas séparer les deux, même si sur le fond, la portée sociale, économique et culturelle des deux chaînes opératoires n’est pas la même. De surcroît, il convient de rappeler tout de suite une distinction méthodologique entre la fonction, finalité globale, générale du récipient, découlant de ses propriétés géométriques ou physiques, et son usage, façon particulière dont la fonction est mise en œuvre pour telle ou telle circonstance.

L’évolution ou la stabilité des formes de cette céramique peuvent en effet être étudiées pour préciser notamment la fonction des divers récipients et également, partant des contextes archéologiques, les habitudes culinaires des populations diverses qui sont concernées. La plus grande partie des études portent sur des formes précises et se limitent à une analyse typo-chronologique. Les réseaux de distribution ou les contextes d’utilisation des vases ne sont que rarement analysés. Il convient dès lors de se demander comment la céramique commune, en tant que révélateur de ces deux chaînes opératoires, peut affecter les études sur les cultures en contact. Or les études de Michel Bats ont pertinemment montré comment l’introduction et l’évolution de certaines formes dans le répertoire céramique local répondent, dans bien des cas, à des besoins relatifs aux pratiques de table. Dès lors, trois axes de recherche s’offrent à nous:

1. le passage d’une forme donnée d’un système technique (alimentaire) à un autre;

2. la cohabitation de deux ou trois systèmes techniques (question qui se pose tant pour la préparation des aliments que pour la production des vases);

3. l’analyse interne des systèmes techniques.

Cette démarche est d’après nous susceptible d’éclairer à la fois le contexte de production, celui de l’utilisation ainsi que le milieu d’échange lui-même. À travers un ensemble de dossiers de recherche, le programme de cette session embrasse ainsi des catégories de matériel très diverses, tant par l’aire culturelle concernée, par la période chronologique envisagée que par le type de production.

 

  1. Arianna Esposito (Université de Lille) & Julien Zurbach (Ecole française d’Athènes)

Les céramiques communes et les problèmes de l’acculturation : perspectives historiographiques et problématiques

  1. Corinne Sanchez (Centre national de la recherche scientifique)

L’organisation des productions céramiques sur l’arc atlantique : l’exemple de l’Aquitaine romaine

  1. Ivan D’Angelo (Università di Napoli “L’Orientale”)

Le produzioni locali di ceramica comune in età arcaica a Cirene dagli scavi alla “Casa del Propileo” e le attestazioni delle multifunzionali “collared bowls”

  1. Jean-Sébastien Gros (University of Thessaly)

Singularités locales de la céramique commune aux VIIIe et VIIe siècles en Grèce Centrale

  1. Maria Trapichler (University of Vienna)

Cooking vessels as cultural marker? Form and Function of Cooking Pots from the Greek city of Velia in Western Lucania from ca 400 to 200 B.C.

  1. Sandrine Marquié (Centre de Recherches Archéologiques, Belgique)

La vaisselle de table au Proche-Orient aux IIIe et IVe s. de notre ère